Dans le rond-point en face de chez-moi, je m’enregistre lire à voix haute un poème scotch-tapé dans mon carnet rouge. Mes voisins m’observent par la fenêtre de leur maison. Les passants m’entendent de loin. Ils regardent rapidement comme si c’était interdit. Personne ne s’arrête. Je continue de nommer les choses.
Précisément, honnêtement, je fais la poésie dans un trou noir. Elle traite du changement de saisons, de la banlieue, de l’ennui, du vide. Si vous voulez, elle peut aussi très bien ne rien dire. L’idée du livre est récurrente dans ma pratique. Jusqu’à maintenant, je porte toujours le texte ailleurs que dans la forme d’un livre.
Le projet se déploie entre les mois de mars et d’avril, durant lesquels je répète les lectures publiques et réécris le texte après chaque sortie. Chaque fois, je suis complètement immobile à côté de la borne-fontaine et de la pancarte indiquant qu’il y a une borne-fontaine. Il n’y a pas de pancarte indiquant que je suis là. Le rond-point aspire la neige et aspire mon corps à petit feu.
Pendant ce temps, les locaux blancs bruyants sans fenêtres de l’université. Les espaces d’exposition fermés. Galerie-Galaxie. Le dehors est la galerie. J’installe le rond-point dans le rond-point.
Faire la lecture / Le rond-point, impression jet d’encre sur papier lustré (deuxième à partir de la droite), XL, Centre d’artistes AXENÉO7, 2023
Faire la lecture à la raquetteuse, au papa dans sa dodge caravan rouge, à la petite fille en vélo, à ma voisine madame dion, aux éboueurs, aux corneilles, à l’avion (extrait)
je veux écrire le texte le plus long
la journée la plus longue c’est bientôt oui
je dois me jardiner de l’intérieur
me rempoter le métabolisme
engager quelqu’un pour faire l’aménagement paysager de ma coquille d’humaine
mon vaisseau corporel est poussiéreux
trimbaler des quenouilles et des fonds de thé froid depuis la mi-octobre
tu m’avais dit que ça finirait là
mais je garde toujours en souvenir tes post-it cute de quand on se disait je t’aime
sortir les vidanges sur un lendemain de brosse qui dure depuis deux ans
il est où le printemps il est où
il est pas où il devrait être
il est fuckin en retard le printemps
en fuite des jours poubelles
je le comprends
j’aime garder mes vieux déchets
au cas où j’aurais besoin de ça un restant de raquette de badminton
la journée la plus longue c’est quand les éboueurs ne passent pas
les gens meurent plus qu’avant et c’est triste
mes amis ont quitté la ville et je suis la seule passagère de mes rides de char sur la 50
à chaque aller-retour je me désintègre un peu plus
des kilomètres d’atomes par heure sortent des gens pour aller se perdre dans le cosmos
ma sœur raconte qu’un trou noir se déplace dans l’univers
et pourrait venir absorber notre galaxie sans qu’on puisse le prévoir
le vide avale le vide
ma coquille d’humaine est un dépotoir et une fierté nationale
des éclairs au chocolat descendent dans ma gorge
ils m’adoucissent les entrailles
pendant que les autres femmes ovulent
pas un brin d’herbe à l’horizon
je sors passer la tondeuse sur les collines de mayonnaise
je suis tannée de trouver des synonymes pour le mot neige
la journée la plus longue c’est tous les jours d’hiver
ma peau sans aucune mélanine
étendue sur ma serviette de plage
installée sur un terre-plein au milieu de l’autoroute
des canetons se font écraser par les voitures
mes larmes remplissent mes lunettes de ski d’eau
je sors en skidoo sur les lacs glacés en quête du meilleur endroit
de cette petite île avec des arbustes à baies
sais-tu s’il annonce beau demain
la journée la plus longue
c’est quand je regarde l’heure
et qu’il n’est pas 11h11